Entre l'évidence et la nouvelle définition de la notion d’écrit
LORSQUE LES JURISTES SE FONT LINGUISTES
L’internet a drainé une révolution dans l’information, mais a aussi obligé notre législateur à redéfinir juridiquement un terme dont l’acception avec le temps était devenu une évidence : ECRIRE.
Rien ne pouvait prévoir qu’il faudrait réinventer une définition de l’écriture, cependant, il est bien certain que l’article 1316-1[1] du code civil en donne une définition scientifique, précise, intéressante et intelligible.
En ce sens, il faut saluer l’initiative du législateur et son intelligence à avoir compris que seule une nouvelle définition de l’écriture permettrait de surmonter la difficulté rencontrée pour l’établissement de notre droit de la preuve.
Reposant sur la notion de manuscrit (donc une écriture à la main), il aurait fallu réécrire intégralement le droit de la preuve si la définition n’avait pas été élargie à l’écriture électronique ou sur tout autre support d’expression de la pensée.
UNE MALADRESSE D’ECRITURE…
Bien que dès l’an 2000, on se soit penché sur le problème de l’écrit dans l’expression de sa forme (manuscrite ou autre …) tous les articles du code civil n’ont pas fait l’objet d’un toilettage de sorte qu’il est resté des zones d’ombres.
Est-ce un oubli ou une maladresse ?
N’aurait-on pas pu faire un rappel de l’article 1316-1 à chaque article qui aborde la notion d’écrit ou d’écriture en terme de preuve dans le code civil ou plus généralement dans tous les code qui aborde la notion d’écrit en terme de preuve ?
Il est clair que l’entreprise est pharaonique et un oubli peut être envisageable.
Mais peu importe qu’on y attribue une faute ou un fait exprès, si l’écriture a été redéfinie, il suffit de lire la disposition que l’on vise à la lumière de l’article 1316-1 du code civil pour appliquer la modification.
C’est la technique qu’utilise la Cour de Cassation dans un arrêt en date du 13 mars 2008[2] à l’occasion de la lecture de l’article 1326[3] du code civil en précisant avec justesse que l’écriture d’une mention par la partie elle-même qui s’engage n’implique pas uniquement une écriture manuscrite mais peut se concevoir à travers tous les nouveaux supports notamment ceux électroniques.
UNE DECISION DE CASSATION SINGULIERE
Entre trop ou pas assez…
La Cour de Cassation s’exprime dans une décision ambiguë par rapport aux faits simples et dont la teneur est la suivante :
Une reconnaissance de dette dactylographiée et signée manuscritement se voit apportée devant les juridictions comme moyen de preuve en vue de l’obtention de son exécution.
Le débiteur réplique astucieusement que le document ne répond pas aux dispositions de l’article 1326 du code civil et ne constitue qu’un commencement de preuve par écrit.
Alors que la Cour d’Appel suit ce raisonnement, la Cour de Cassation oppose le principe de la lecture de l’article 1326 au regard de la nouvelle définition de l’écrit (article 1316-1 du code civil) et casse l’arrêt d’appel sans plus d’indication.
On aurait pu s’attendre à ce qu’elle reproche à la Cour d’Appel de ne pas avoir recherché si le document présenté permettait d’établir l’existence d’un écrit mais la Haute Cour n’en fait rien.
COUR D’APPEL DE RENVOI : UNE DECISION TRES ATTENDUE
Sans spéculer sur la décision de renvoi, on peut toutefois s’interroger sur le message énigmatique délivrée par la Cour de Cassation.
La Haute juridiction semble vouloir s’abstenir de toute indication lors du renvoi.
Un examen de principe
Or on ne devrait s’attendre de la part de la Cour de Cassation, qu’à une seule et unique lecture : obliger la juridiction de renvoie à rechercher si le document présenté constitue un écrit au sens de l’article 1316-1 du code civil.
Est-ce que cela signifie que toute juridiction devra s’interdire d’écarter un quelconque document et s’obliger au contraire à l’examiner ?
Si tel est le sens du message de la Cour de cassation, on peut saluer l’initiative d’avoir voulu instaurer un examen de « principe ».
Pertinence face à un document déjà identifié ?
Une question demeure : ce « principe d’examen systématique » est-il pertinent ?
Dans la mesure où la forme du document est identifiée, on peut douter de la nécessité de cet examen.
En effet selon les dispositions de l’article 1326 revisité à la lumière de l’article 1316-1, le procédé doit permettre de d’authentifier l’auteur (c'est-à-dire de rapporter la preuve que la mention a bien été écrite par le débiteur).
Or cela ne peut être précisément pas le cas puisque dans le cadre d’un procédé dactylographié, il s’agit d’une machine qui écrit et non d’une personne même. En conséquence on peut, tout au plus, identifier la machine mais pas précisément celui qui a frappé sur le clavier (sauf dans le cadre d’un procédé cryptologique du fait de l’envoi du document par message électronique,).
D’autre part, et pour des raisons psychologiques, une reconnaissance de dettes ne saurait faire l’objet d’un écrit électronique ; le créancier se doit de s’entretenir avec le débiteur de visu et bien souvent, c’est de l’échange entre les parties dont dépend l’issu de l’entrevue : la signature du document ou bien l’échec de toute négociation.
Aux vues de ce qui précède, on serait tenté de dire que concernant une reconnaissance de dette dactylographiée, la cour de renvoi ne pourrait juger autrement que la 1ère cour d’appel.
Dès lors la décision de la Cour de Cassation serait sans grande portée pratique.
Or une question demeure : dans la mesure où ce serait de l’aveu même du débiteur, reconnaissant qu’il a frappé à la machine la mention relative au bon pour accord en somme (chiffre et lettre), que la mention se trouve sur le document, devrait-on valider l’idée d’un écrit ?
La question reste ouverte …
[1] Art 1316-1 du code civil http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006437813&cidTexte=LEGITEXT000006070721&dateTexte=20080514&fastPos=1&fastReqId=797968073&oldAction=rechCodeArticle
[2] Cass. Civ 1ère 13/03/2008 n°06-17.534
[3] Art 1326 du code civil http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006437997&cidTexte=LEGITEXT000006070721&dateTexte=20080514&fastPos=1&fastReqId=1872130888&oldAction=rechCodeArticle
lundi, mai 19, 2008
samedi, mai 10, 2008
Jusqu’où taxer ?
La fonction régalienne autorise-t-elle le fisc à tout taxer ?
La Cour de Cassation[1] vient de répondre par la négative, réaffirmant sa position antérieure[2]à l’occasion de l’affaire suivante : une société avait décidé de payer les dividendes d’un de ses actionnaires non pas en argent mais par la remise d’un bien immobilier.
L’administration fiscale, considérant qu’elle devait percevoir les droits d’enregistrement proportionnels à la valeur de l’immeuble, avait effectué un redressement fiscal à l’occasion d’une vérification comptable.
Fort de son analyse, le fisc prétendait que la perception des droits, liés à l’opération de remise du bien constituait un acte translatif de propriété, une mutation à titre onéreux au sens des articles 682 et 683 du code général des impôts.
La cour de cassation, faisant une lecture littérale des deux articles ci-dessus, a répondu que la décision de distribution des dividendes était un acte unilatéral qui ne pouvait être qualifié de contrat qu’il était impossible de retenir la notion de transmission de propriété de bien immobilier à titre onéreux.
L’argument est-il discutable ?
Certes l’opération consiste bien à faire passer un bien immobilier d’un patrimoine à un autre.
D’autre part concernant le caractère onéreux, le paiement du dividende ne sert-il pas de rémunération à l’investissement fait par l’actionnaire lors de la prise de participation au capital de la société ?
Cette décision favorable aux actionnaires rappelle le principe d’autonomie du droit fiscal par rapport aux autres branches du droit et invite à la prudence quant aux interprétations qu’elle réserve.
[1] Cass. Com. 12 février 2008 n°05-17.085
[2] Cass. Com. 06 juin 1990 n°88-17.133
La Cour de Cassation[1] vient de répondre par la négative, réaffirmant sa position antérieure[2]à l’occasion de l’affaire suivante : une société avait décidé de payer les dividendes d’un de ses actionnaires non pas en argent mais par la remise d’un bien immobilier.
L’administration fiscale, considérant qu’elle devait percevoir les droits d’enregistrement proportionnels à la valeur de l’immeuble, avait effectué un redressement fiscal à l’occasion d’une vérification comptable.
Fort de son analyse, le fisc prétendait que la perception des droits, liés à l’opération de remise du bien constituait un acte translatif de propriété, une mutation à titre onéreux au sens des articles 682 et 683 du code général des impôts.
La cour de cassation, faisant une lecture littérale des deux articles ci-dessus, a répondu que la décision de distribution des dividendes était un acte unilatéral qui ne pouvait être qualifié de contrat qu’il était impossible de retenir la notion de transmission de propriété de bien immobilier à titre onéreux.
L’argument est-il discutable ?
Certes l’opération consiste bien à faire passer un bien immobilier d’un patrimoine à un autre.
D’autre part concernant le caractère onéreux, le paiement du dividende ne sert-il pas de rémunération à l’investissement fait par l’actionnaire lors de la prise de participation au capital de la société ?
Cette décision favorable aux actionnaires rappelle le principe d’autonomie du droit fiscal par rapport aux autres branches du droit et invite à la prudence quant aux interprétations qu’elle réserve.
[1] Cass. Com. 12 février 2008 n°05-17.085
[2] Cass. Com. 06 juin 1990 n°88-17.133
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