lundi, avril 09, 2007

Les restrictions d’usage : Obligations réelles ou personnelles ?

Vendre un bien en l’assortissant d’une condition d’utilisation exclusive ou bien en restreignant son usage pourrait sembler à l’encontre du droit de propriété (selon l’article 544 du code civil).
Or depuis longtemps notre législateur a envisagé la notion de restriction d’usage en introduisant le concept de servitude.

Se définissant comme une charge grevant une propriété au profit d'une autre propriété selon l’article 637 du code civil, la servitude, par essence perpétuelle, sauf convention contraire, est attachée à la propriété et non au propriétaire.

En effet, réserver sur le fond, un droit de passage, par exemple, pour l’accès à un fond voisin enclavé, constitue une restriction d’usage mais qui trouve sa justification dans le fait de laisser le propriétaire du fond enclavé accéder à son bien.

Cette restriction constitue une obligation réelle portant sur un bien foncier et faisant l’objet d’une réglementation.

Par contre qu’en est-il de l’interdiction d’usage que ferait un vendeur à un acquéreur de terrain de construire un bien destiné à autre chose que de l’habitation sociale ?

La restriction ne porte pas sur l’usage physique d’une partie du fond. On pourrait même ajouter que la restriction n’est pas autre chose que le fruit de la seule volonté du vendeur alors qu’il abandonne, du fait de la cession, une quelconque jouissance sur le bien.

Cette restriction non réelle mais émanant de la seule volonté du cédant a-t-elle un fondement juridique ?

La cour de cassation a répondu dans deux arrêts à cette difficile question.[1]

La juridiction Suprême envisage d’abord de reconnaître la légalité de ce type de restriction d’usage.
En effet alors que la Cour d’appel avait précisé que cette restriction ne pouvait s’analyser que comme une servitude, (qui d’ailleurs n’obéissait pas à la réglementation en vigueur du fait de la non détermination du fond dominant), la Cour de cassation, au visa de l’article 1134 du code civil, reconnaît pleinement le droit de stipuler conventionnellement une restriction d’usage puisqu’elle est le fruit de la volonté des parties sans qu’elle soit pour autant contraire à l’ordre public.

Cette obligation devient personnelle et attachée à la personne des co-contractants respectifs qui s’y engagent.

A partir de cette situation, il convient de retenir donc que la stipulation est possible si elle est définie spécifiquement et enfermée dans le temps.
En effet, puisque l’engagement est personnel, il est attaché aux individus eux-mêmes donc dans le cadre d’une nouvelle mutation, il est important de préciser que les parties pourraient ne pas respecter l’engagement initial. Le vendeur du fond acquis précédemment serait en mesure de libérer son nouvel acquéreur de la restriction d’usage.

Mais dans la mesure où la restriction serait étendue à tous les acquéreurs successifs du fond, cette obligation qui perdurerait dans le temps et de façon absolue serait-elle licite ?

La Cour d’Appel[2] dans l’arrêt précité considère que si l’intention des parties qui stipulent repose sur la volonté de voir perdurer la restriction en dépit de mutations successives, il ne s’agira plus d’une obligation personnelle mais d’une véritable obligation réelle (propter rem) puisque attachée à la chose elle-même se transmettant aux acquéreurs successifs, applicable et opposable en vertu de son inscription au livre foncier.

Mais retenant la qualification d’obligation réelle (propter rem) doit-on envisager pour autant que cette obligation soit perpétuelle comme une servitude ?

Le débat reste ouvert compte tenu de la difficulté d’interprétation de la décision de la Cour d’Appel précitée.

En conclusion, la restriction d’usage qui, du fait de la chronologie des décisions juridiques, semble s’apparenter à une obligation plus personnelle que réelle devrait selon toute vraisemblance être limitée dans le temps pour être licite quoique sur ce dernier point nous souhaiterions obtenir une confirmation de la jurisprudence.





[1] Cass. civ. 3ème 4 juillet 2001 et CA de Versailles 1er ch. A 30 septembre 1999
[2] Voir note (1) CA de Versailles